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15 octobre 2007 1 15 /10 /octobre /2007 23:43

Régulièrement convié aux soirées de la duchesse de Guermantes, Monsieur Flegm s’y rend toujours avec le même plaisir, heureux de côtoyer le grand monde et de pouvoir siroter le meilleur des champagnes, à demi allongé dans une méridienne. Il n’est nullement impressionné par la phrase proustienne : les anneaux nécessaires d’un beau style ? – ceux d’un boa en plumes, vous répondrait-t-il avec son indéfectible sourire.

Qu’importe s’il n’a que rarement l’occasion de glisser dans la conversation ce genre de bons mots, faute d’interlocuteur, et qu’on lui tende même souvent, par méprise, une coupe de champagne vide en le sommant d’en apporter une autre ! Il a plus d’un talent et sait se distinguer de façon plus originale.

Par exemple, ne serait-ce que l’autre soir, ce facétieux convive a su tirer, pendant de longues minutes, un son limpide et clair d’une coupe en cristal en effleurant son rebord avec un doigt humecté de champagne ; a déambulé dans la salle de réception, plus d’une heure, une cuiller à thé suspendue à son nez ; a mis, à plusieurs reprises, sept petit fours dans la bouche et prononcé la phrase « Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches, archi-sèches ? » ; a dansé un kazachok frénétique sur une polonaise de Chopin ; s’est confectionné des boucles d’oreilles avec des cerises, une fausse moustache avec des queues d’écrevisse ; s’est chaussé d’ananas.

Pourtant - le mystère reste entier - il n’est fait aucune mention de Monsieur Flegm dans les milliers de pages d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Dommage, il y aurait mis pas mal d’ambiance …

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3 octobre 2007 3 03 /10 /octobre /2007 23:08
 
 

Texte inspiré par la condition humaine de René Magritte. 

La vue sur le grand chêne était pittoresque, le soleil au beau fixe et Monsieur Flegm se sentait l’âme d’un peintre. Après le déjeuner, il posa toile et chevalet près de la fenêtre du salon, sortit crayons, huiles et pinceaux et traça, à la mine de plomb, une ligne d’horizon et deux points de fuite.

Il pressentit, en voyant en face de lui les champs de tournesols et de coquelicots, que ses restes de peintures jaune et rouge ne suffiraient pas. Il appela ses gens, il était hors de question d’entreprendre une œuvre qui resterait inachevée faute de couleurs : ces coquelicots et ces tournesols fourniraient suffisamment de matière pour concocter de nouvelles huiles.

On arracha alors toutes les fleurs du champ ; en cuisine, on fit bouillir leurs pétales dans de grandes cuves ; on filtra le tout et, après quelques tours de chimie, on obtint des pigments d’assez bonne facture. Aussi, les graines oléagineuses des tournesols produisirent un liant de première qualité.

En regardant à nouveau attentivement le paysage, Monsieur Flegm se rendit compte que c’était désormais la verdure qui dominait et qu’à nouveau, la peinture ferait défaut. Il fit venir ses jardiniers pour qu’ils concassent l’herbe grasse dans des mortiers, jusqu’à l’avoir réduite en une poudre fine. Mêlée à l’huile de tournesol, elle fournirait une peinture verte sans doute très respectable.  

Malgré ses efforts et de nombreux mélanges, Monsieur Flegm n’arrivait pas à rendre sur sa palette la teinte véritable de l’étendue de terre qu’il avait en face de lui. Excédé, il fit venir l’intendant. Il n’y avait qu’à se fournir à la source ! On rassembla pelles et pioches et le ballet des camions à bennes commença. On aurait désormais une peinture brune fidèle à la réalité et qui plus est en suffisance.

Mais le papier vint à manquer, qui devait servir aux études préparatoires du grand chêne. Qu’importe ! Monsieur Flegm fit abattre l’arbre. Après avoir ôté l’écorce, on récupéra les fibres de l’aubier, qu’on fit bouillir dans les cuves à peine nettoyées. On put ainsi confectionner une pâte à papier, dont on tira de très bonnes feuilles à dessin.

Mécontent d’un premier jet sur toile, Monsieur Flegm décida de reprendre à zéro, même s’il lui manquait à présent un support. Par un heureux hasard, dans la région, on s’activait à la récolte du lin. Monsieur Flegm acheta tous les stocks disponibles et se fit tisser de nouvelles toiles. Pour construire le châssis de celles-ci, on coupa encore quelques jeunes arbres de la propriété.

Au même moment, des géologues annonçaient la découverte de gisements de potasse et de fer au cœur de la colline avoisinante. De parfaits pigments ! Il manquait justement à Monsieur Flegm, pour son ciel, un bleu digne de ce nom ! Afin d’en extraire les précieux minerais, de puissantes excavatrices éventrèrent et rasèrent la colline. Excellent ! C’était à l’horizon une plus vaste étendue de ciel et, sur sa toile, une plus grande plage libre pour le bleu de Prusse qu’on lui concoctait.  Mais les fumées des machines et la poussière qu’elles soulevaient assombrissaient le ciel, si bien que Monsieur Flegm, toujours attelé à sa toile, commença à manquer de noir. Il décida encore une fois de sonder le sous-sol de sa propriété pour trouver de nouveaux pigments. Lorsqu’on lui annonça qu’un gisement de pétrole avait été découvert, il fut soulagé d’avoir désormais à sa disposition la couleur qui rendrait parfaitement l’atmosphère du lieu. On installa alors de grandes tours de forage.

Puis, Monsieur Flegm se lassa, se dit qu’après tout il n’avait pas le talent d’un Magritte. Tous ses efforts resteraient vains. Mais il ne désespérait pas de mettre à profit ses talents d’artiste. Il prit une plume, une feuille de papier et traça ces premiers mots :

Le cadre est pittoresque, le soleil au beau fixe et je me sens l’âme d’un poète. Après le déjeuner, j’ai posé une feuille de papier près de la fenêtre de ma chambre …

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30 septembre 2007 7 30 /09 /septembre /2007 23:01

Ce soir là, peu après l’heure du coucher, fermement décidé à remplir ses devoirs conjugaux, Monsieur Flegm décida de quitter sa chambre pour rejoindre celle de son épouse. Il frétillait déjà des orteils sur la descente de lit (une peau de tigre autrefois mangeur d’homme et dont le poil chatouillait à présent agréablement les pieds), lorsque son épouse, déjà couchée, remarqua sa présence au-dessus de son épaule en étouffant un petit cri. Stupéfaite et visiblement très retournée, elle semblait néanmoins consentir à partager son lit.

Monsieur Flegm retira son pyjama et s’immisça à tâtons sous les couvertures. Comme de petites taupes lubriques, ses mains boudinées se frayèrent un chemin jusqu’aux hanches de son épouse et se mirent à caresser le satin d’Italie de sa chemise de nuit. Brûlant d’impatience Monsieur Flegm se rapproche ; il passe maintenant sa main droite sous le bras de son épouse et tâte avec le pouce et l’index la dentelle fine du décolleté. Sa main gauche saisit un pan de la chemise de nuit, la fait remonter lentement jusqu’à hauteur de fesses. Il gigote, se débarrasse d’un violent coup de rein de l’épais couvre-lit de velours rouge qui entrave ses mouvements. Il ne ramène sur ses ébats que la couverture de soie fine. Les membres s’agitent, les draps se froissent crescendo. Monsieur Flegm, emporté dans ses mouvements, griffe frénétiquement le matelas recouvert d’un drap de coton d’Egypte. De quelles profondeurs venait donc cette subite furie qu’il n’avait jamais connue à son épouse ? Le lit à baldaquin tremble de plus belle. Monsieur Flegm profite qu’un rideau de gaze passe miraculeusement au-dessus de lui pour éponger son visage qui ruisselle de sueur. Ivre de plaisir, il replonge ensuite sa tête dans l’édredon de duvet de cygne, mord à l’intérieur jusqu’à le déchirer. Des plumes se répandent dans l’air moite de la chambre où les râles succèdent aux suffocations.

« Mais voyons, chéri, que vous prend-il ? »

Dans l’encadrement de la porte, Madame Flegm, vêtue de sa robe de chambre de moleskine rose, venait d’entrer dans la pièce. Elle tenait sur un plateau une théière fumante et deux tasses de porcelaine.

Embarrassé, Monsieur Flegm s’interroge en saisissant, sur le lit, la chemise de nuit de son épouse désespérément vide. Mais comment avait-elle bien pu faire pour lui glisser encore une fois entre les doigts?

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Où il sera question de l'ouragan qui fait battre des ailes un papillon à l'autre bout du monde et de l'huître qui fait une perle du grain de sable dans l'engrenage ...

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