toujours le cheval que je tiens par la bride.
Henri Michaux
Si le postulat cartésien « je pense donc je suis » n’est guère contestable, il est étonnant de constater que son contraire « je pense donc je ne suis pas » est tout aussi recevable et évoque même l’une des réalités humaines les plus irréfutables.
Vous ne me suivez pas dans cette conclusion ? Eh bien ! N’est-ce pas là une preuve de ce que j'avance? Car, dans le cas contraire, vous auriez peut-être suivi un peu trop béatement mon raisonnement ; vous vous seriez laissés embobiner sans résistance aucune. Or, penser c’est, au contraire, être autonome et ne pas suivre bêtement le courant : vous pensez donc vous ne suivez pas. Vous y êtes ? cogito ergo non sequor : « je pense donc je ne suis pas. »
Poursuivons.
Le corollaire de ce premier syllogisme est que si je ne pense pas, je suis. En d’autres termes, si je ne laisse pas la pensée définir ma praxis, je suis bêtement le reste du troupeau comme un mouton à l’instinct grégaire, sans autre souci que de me gaver d’herbe grasse. Un mouton ne pense pas, il suit sa panse, ce qui n’a rien à voir.
Mais si un mouton ne pense pas mais rumine, l’homme qui rumine, au contraire, ne cesse de penser ; il a même la tête saturée des pensées qu’il remâche. Or, en ruminant de la sorte, ne retrouve-t-il pas des facultés moutonnières et, selon le principe évoqué plus haut, ne devient-il pas incapable de la moindre pensée ? Serions-nous alors contraints de conclure, contre toute logique, que l’homme qui pense ne pense pas… A suivre.